Un monteur de documentaire dit aux réalisateurs ce qu’ils devraient savoir
Truc No1 : « Restez toujours ouverts à de nouvelles idées dans la salle de montage »
Rien n’est plus difficile pour la créativité en montage que de sentir que l’on ne peut s’exprimer. De nombreux réalisateurs, souvent inexpérimentés, savent exactement quel genre de film ils veulent faire et désirent uniquement un monteur pour manipuler l’équipement. Pourtant le monteur regarde le tournage avec une nouvelle perspective et peut envisager des possibilités que le réalisateur n’avait jamais considéré. Je suis fermement convaincu que les meilleurs films sont obtenus par un processus organique qui fait émerger doucement le film du matériel filmé.
Truc No2 : « Coupez l’image et écoutez le son seul »
Il y a de nombreuses années, je travaillais avec Ron Sanders, monteur de David Cronenberg. Une fois, alors que j’avais des difficultés avec une scène, Ron suggéra de couper l’image et de ne monter qu’avec le son en se fiant au rythme des dialogues. Cela allait à l’encontre de mon instinct de monteur. Le son et l’image ne sont-ils pas indissociables ? Je décidais d’essayer et miraculeusement la scène prenait forme. Sans les distractions causées par l’image, il est plus facile d’entendre les redondances, les respirations déformées et une mauvaise cadence. Depuis « couper l’image » est un truc qui fait partie de mon arsenal de monteur.
Truc No3 : « Coupez le son et regardez l’image »
Je suis persuadé que plus de la moitié de l’audience élimine le son et essaye de comprendre uniquement avec les images. Nous avons tous fait l’expérience mortifiante de regarder l’une de nos productions avec des connaissances. Toutes les nuances délicates dont nous avons parsemées l’émission sont perdues alors que tous s’assoient sur le canapé et se plaignent et du temps ou discutent du prix des fraises. C’est très important que les images racontent une histoire à part entière. Quand je fais ma sortie sur la Timeline à partir d’Avid, je ferme souvent le son et vérifie mes appels téléphoniques en gardant un œil sur le moniteur. C’est incroyable comme on repère alors rapidement une scène plus pauvre ou une transition tirée par les cheveux.
Truc No4 : « Ne restez pas trop absorbé par les détails de votre sujet lors de votre tournage »
L’un des combats que je mène le plus souvent est celui qui consiste à mettre les éléments de base de l’histoire à l’écran. J’ai travaillé sur de nombreuses productions pendant lesquelles il nous manquait des éléments fondamentaux comme les plans larges de situation. Nous avons dû envoyer une équipe pour tourner ces éléments ou les acheter. Je pense savoir pourquoi cela arrive : il semble que lors du long processus de création, depuis la recherche jusqu’au tournage, le réalisateur devienne un expert de son sujet et qu’il se fixe donc sur ses multiples nuances. Il risque alors d’oublier que ce n’est pas le cas des spectateurs qui verront ce sujet pour la première fois. Restez simple, les films documentaires fonctionnent mieux quand les spectateurs peuvent en comprendre rapidement et utilement le contexte.
Truc No5 : « Regardez souvent votre production avec d’autres personnes »
Beaucoup de jeunes documentaristes croient qu’ils peuvent faire des films d’une façon que personne n’a essayé avant eux ; ils sont en train de réinventer le genre documentaire. C’est pourquoi ces films intéressent peut-être d’autres cinéastes mais sont incompréhensibles pour le grand public qui ne les aime pas. Cela met en avant une question qu’il faut se poser dans toutes les salles de montage : « à qui s’adresse ce film ? » Si la réponse est à l’audience la plus vaste possible, alors la meilleure voie à suivre est de faire des visionnements de test. Dans le vase clos de la salle de montage, il est très difficile de présager de la réceptivité de votre travail. Même un visionnement modeste avec quelques amis peut vous remettre dans la bonne voie. Beaucoup de réalisateurs débutants sont hésitants à montrer leur travail avant qu’il ne soit complètement terminé, mais à cet instant il est alors trop tard pour faire des changements et solutionner des problèmes.
Truc No6 : « Ne devenez pas obsédé par votre film, sortez de la salle de montage »
Quand je suis appelé pour regarder le travail d’autres personnes, souvent parce qu’ils ont un problème de montage, je n’ai généralement même pas besoin de regarder le film pour savoir ce qui ne va pas : il s’agit d’un « blocage au montage ». Ma solution : sortez de la salle de montage ! Être capable de changer de perspective est essentiel au processus de montage, et si vous vous obstinez à regarder les problèmes toujours sous le même angle, vous serez incapables de les résoudre. Je suis amusé de voir comment un problème de structure qui semblait insoluble le vendredi soir, devient d’une facilité déconcertante à régler le lundi matin.
Truc No7 : « Souvenez-vous de votre première réaction en voyant vos images »
Nous sommes tous embarqués dans un cercle vicieux en montage qui nous fait rejeter aujourd’hui des scènes que nous avions auparavant trouvées irrésistibles. À force de regarder le matériel et le montage plusieurs fois, il arrive un moment où en modifiant une fois de plus, on commence à faire du travail destructif. Brusquement, des moments magnifiques disparaissent et si vous demandez où ils sont partis, les réalisateurs semblent surpris que vous le remarquiez. Les premières réactions sont très importantes. J’essaie de me souvenir de ma réaction initiale en voyant pour la première fois les images car c’est comme ça ultimement que le public les verra : pour la première fois. J’utilise un système assez simple quand je visionne le matériel de tournage pour la première fois : je met une, deux ou trois étoiles derrière mes notes pour chaque séquence et ainsi il m’est facile de me remémorer mes premières impressions.
Truc No8 : « Si vous êtes pressé par le temps, montez en ajoutant des éléments plutôt qu’en coupant des longueurs »
De nombreux films sont montés selon le lent processus de la réduction du matériel de tournage jusqu’au film terminé. L’environnement moderne de montage et les périodes de montage de plus en plus courtes nous forcent à utiliser une approche plus agressive. Je recommande de fonctionner à l’inverse et d’étendre un montage de base : regardez vos rushes et assemblez les éléments qui sont indispensables, prenez ensuite cette forme réduite pour l’étendre à votre durée finale. J’ai utilisé cette méthode pour la première fois il y a de nombreuses années alors que je montais avec Barbara Willis, « Sweete at Rhombus ». Nous avions de graves problèmes pour intégrer de nombreux éléments à un film très complexe et, en désespoir de cause, nous avons enlevé tout ce qui n’était pas essentiel. Brusquement, le film fut réduit au tiers de sa durée et nous pouvions enfin en voir le cœur. Autour de cette nouvelle structure, nous avons juste ajouté ce qui était nécessaire à la compréhension de l’histoire. Cette technique permet également une approche psychologique différente : plutôt que de détruire et enlever des portions de film montées ou non, vous vous retrouvez à bâtir en ajouter du matériel.
Truc No9 : « Au tournage, le son est plus important que l’image »
Cela parait incroyable mais en tant que monteur je pense fermement que le son est plus important que l’image. Je fais face à de nombreux problèmes sur tous les films que je monte. Les problèmes visuels peuvent être réglés selon de nombreuses méthodes plus créatives les unes que les autres, spécialement en documentaire, alors que les problèmes de son, en particulier en cas de tournage lointain, sont quasiment insolubles. J’ai monté un film sur l’équipe olympique de Hockey féminine canadienne. Dans une scène cruciale, l’équipe s’en va en prolongation. Le caméraman est accepté dans la chambre des joueuses mais cantonné dans un coin. Le son de l’entraineur qui avait un micro HF était fantastique, mais les images des joueuses au téléobjectif en longue focale étaient saccadées. J’ai finalement gardé une image fixe de chacune des joueuses et fait des ralentis accompagnés de fondus enchaînés pendant le discours de l’entraineur. La scène est devenue un des moments importants du film et le son avait besoin d’être bon !
Truc No10 : « Ne tomber pas en amour avec votre trame sonore temporaire »
C’est difficile pour toute l’équipe de production depuis la secrétaire jusqu’au producteur en passant par le diffuseur. Avec l’évolution des stations de montage numériques, l’utilisation du son n’a jamais été aussi facile et la plupart des monteurs est encouragé à créer des pistes sonores de plus en plus évoluées avec force musiques et effets. Naturellement, le réalisateur et le monteur se payent du bon temps en mettant leurs auteurs préférés depuis Charlie Parker jusqu’à John Williams. Dur retour à la réalité … quand on doit enlever cette trame sonore temporaire pour la remplacer par ce que le budget musique permet de s’offrir. Un bon moyen de contourner ce problème est d’utiliser une trame temporaire en salle de montage pour établir l’ambiance et le rythme mais ne jamais la jouer pendant des visionnements importants. Vous pouvez ainsi bénéficier de la musique quand vous en avez besoin et éviter de vivre l’agonie de devoir l’abandonner.
Bonus, truc No 11 : « Ne paniquez pas ! »
par Steve Weslak